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Déconfinement et Ramadan

26 Avril 2020 , Rédigé par Pereg

Déconfinement et Ramadan

Première fois que j’emploie réellement ce mot, celui d’une sortie de crise sanitaire, avec tout la mesure qui s’impose. Les dates sont sorties au Liban et l’on a donc la confirmation de la volonté d’une reprise de l’école en fin d’année. 8 juin sur les bancs de l’école. En tout cas c’est ce qui est espéré. Ça voudrait donc dire que je me rendrai au pays des cèdres à cette date-là, dans six semaines. Il y a forcément le temps de voir, déjà si le 25 mai est réellement confirmé avec l’ouverture aux classes à examen. Peut-être que je devrai me rendre avant au Liban ? pour l’heure je me dis que quoi qu’il se passe, j’ai encore quatre semaines à minima ici et si d’aventure ça se prolongeait plus encore, il est probable que j’aille à Saint-Malo. Dans mon pied à terre français, mon ancrage breton estival, la maison que j’ai habité pendant deux ans. On verra comment les choses vont évoluer, mais de toute façon en travaillant à distance, le lieu importe peu mais c’est tellement plus facile que si j’étais confiné à Beyrouth, je ne vois toujours pas la nécessité actuellement d’entreprendre le périple.

Le mois de Ramadan a démarré et les restrictions volontaires que la foi impose d’elle-même. Mais ici, de Vannes, il m’est beaucoup plus difficile de me lancer dans cette aventure que si j’avais été à Beyrouth avec un environnement qui s’y prête. Je ne me marquerai donc pas ce mois comme l’an dernier par un Carême qui m’avait aidé à arrêter de fumer. Même avec cette décision en tête le chemin n’avait pas été des plus simples mais j’avais cependant tenu un mois complet sans alcool sans aucun problème. On pourrait me dire que ça ne ferait pas de mal de recommencer. C’est vrai, cependant comme je l’ai fait l’an dernier et que j’en suis capable, je ne vois pas l’intérêt de renouveler « l’exploit ». Ce n’est pas comme si je faisais un semi-marathon ou une nouvelle performance, non. Certains pourraient penser que la consommation de fin de semaine est bien trop importante et je ne doute pas qu’elle puisse l’être mais quelque part, tel est mon plaisir aussi. Evidemment, la gueule de bois adjacente fait aussi partie du jeu.

Cette semaine était aussi celle de la reprise, de la remise au boulot, fin des congés de printemps et démarrage officiellement de la dernière période. Je n’ai pas trop su pour mes élèves mais il m’a été difficile de m’y remettre, une rentrée après une coupure, qu’elle soit réelle ou virtuelle n’est pas chose aisée. Reprendre le rythme si facilement perdu l’est tout autant. Bien que je me lève toujours tôt le matin, l’astreinte est plus délicate. Mais comme je ne suis pas le seul à travailler ici, ça motive. Dans la semaine qui démarre en revanche, les parents seront en congés et du coup, là, ce sera un peu différent car je serai le seul de la maison. Mais ayant dans l’idée un projet motivant, il me mènera au moins jusqu’à la fin de semaine aisément.

Entre films et séries, il y a toujours de quoi s’occuper le soir, toujours des choses à regarder, d’autres sont plaisants à revoir, surtout que la programmation française même accessible au Liban n’est pas ce qui me passionne le plus initialement. J’avoue que j’ai plaisir à m’asseoir dans le fauteuil pour un moment cinéma, à condition que l’on se soit mis d’accord sur le programme. Avec Netflix, j’étais beaucoup plus sur des séances internationales que là, ces derniers temps, je suis devant la nouvelle vague et le mythique cinéma français. Cinéma qui a ce grain, cette vitalité, cette ferveur que nul autre ne peut provoquer de la même manière. Du capitaine Fracasse à Cyrano, en passant par les papas du dimanche, l’émotion que provoque ces films est immuable. Bien sûr les comédies sont savoureuses aussi, mais la manipulation du côté doux amer est une chose que les français savent très bien faire. Les séries sont également à minima au même niveau, quand on voit des choses comme Baron noir ou Au service de la France, ce sont des programmes dont je ne me lasserai pas.

Je n’oublie pas de lire, avant de revenir dans l’univers de Dumas qui m’enchantera à nouveau bientôt, je suis parti en Ecosse à Murrayfield pour le Grand Slam 1990 avec le flower of Scotland et de braves tartans qui portèrent haut le drapeau bleu. Ce n’est pas n’importe quel match, mais celui-ci revêt une importance pour ce peuple du nord, le dernier Chelem qu’ils ont fait, celui de la victoire sur Tatcher aussi. Bref un transport dans une réalité brute et le tout en langue originale. J’ai ce livre depuis des années, j’avais bien mis six mois à le finir, je mettrai assurément moins de temps cette fois-ci.

Mais cette semaine, j’ai forcément la tête au Liban avec le Ramadan, cette atmosphère me manque, le calme de l’iftar dans les rues, les beignets faits uniquement à cette période, et le comportement des gens qui change aussi. Oui tout ça me manque mais encore une fois, à quoi bon retourner à Beyrouth m’y confiner. Quand ça sera possible, j’irai, mais peut être que ça ne sera peut-être que septembre. Voir les amis, les collègues, les amis, boire des verres chez Torus ou ailleurs, marcher ou courir sur la Corniche. J’ai hâte aussi de remonter à deux roues, promenade dans le ronflement de Volty. Bref ma vie là-bas. Déjà cet été, sans colonie, un canal que je souhaite parcourir, et pour le reste c’est trop indécis pour prendre telle ou telle décision. Il faudra patienter pour découvrir ce qu’il en sera exactement. Mais d’ici là,  il y a aura toujours des histoires pour me faire voyager.

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Mise au vert

19 Avril 2020 , Rédigé par Pereg

Une expression un peu désuète mais qui correspond bien à mon état d’esprit cette semaine, celle d’une semaine loin de la réalité, ou plutôt comme prévue, loin dans les méandres des histoires que je peux lire/voir/suivre/écouter. Oui, même si j’ai ouvert ma boite mail pour répondre à mes élèves et vérifier qu’il ne me restait pas de corrections, je ne voulais pas du tout entendre parler de boulot cette semaine et ce fut fait. Les vacances ont de spécial et de nécessaire d’être une coupure, même durant un moment aussi particulier que le confinement, il est impératif, pour le mental et le moral, de marquer la rupture avec la routine qui se remettra en place dès demain.

Alors cette semaine a permis de varier un peu les plaisirs et j’ai pris le temps de passer en cuisine pour tester des recettes libanaises. Bien sûr qu’à Beyrouth, je n’aurais pas essayer de les cuisiner de cette manière, pouvant avoir accès à tout facilement et pas cher dans le quartier. Mais d’ici, la question et la motivation sont toutes autres, j’avais besoin de ressentir Beyrouth, et quoi de mieux que par les saveurs et le goût si particulier de la cuisine libanaise. J’ai donc choisi des recettes qui me semblaient d’une part accessible pour leur facilité, mais surtout pour les ingrédients à trouver, ce qui n’est pas forcément chose aisée. Ainsi je me suis testé à la Fatteh, Man2ouche, Kebbeh bi sayniyé et les falafels. Hormis les derniers, l’expérience culinaire était plutôt réussie. Bien sûr, tout n’était pas parfait loin sans faut, car tout n’était pas aussi relevé que je l’aurais souhaité, qu’importe, j’ai essayé et je reprendrai le temps de le faire… d’ici la fin du confinement ou plus tard. Le Liban me manque, six mois après le début de la révolution, la crise économique violente, le Covid-19 et la toute la pression bancaire, rien n'est simple là-bas.

Le président de la république française a parlé lundi dernier, prolongeant le confinement au moins jusqu’au 11 mai. Si les conditions le permettent, si les gens respectent, si et si… Forcément  ça questionne, ça intrigue sur de nombreux sujets mais personnellement touché par l’annonce de la réouverture des écoles, le sujet reste sensible. Car effectivement si l’on demande aux gens de retourner travailler, ce qui peut être normal, comme ne pas nous l’imposer non plus ? Après pour ce qui est de cette résolution en France, je suis un peu en porte-à-faux. Ma classe étant à Beyrouth, mais l’idée d’imposer une reprise fait forcément son chemin. Elle peut être cohérente par rapport aux attentes de la société et de la simple garde des enfants, plus que l’apprentissage lui-même. Mais la question est comment faire classe en respectant les règles de distanciation sociale ? Comment imposer à des enfants de respecter ces fameuses règles ? Impossible, c’est juste impossible. Donc ça voudrait dire que l’on exposerait consciemment toute la jeune population avec cette épée de Damoclès, sans parler des enseignants ?

 Je n’ai pas de bonne solution, mais forcément je m’inquiète de voir ce qui adviendra, ici ou ailleurs. Car le cas du Danemark cette semaine avec les possibilités de locaux, d’espaces et d’enseignants qu’ils ont, c’est une autre histoire que mes conditions de travail à Beyrouth. On verra bien et en attendant que l’école réouvre, et/ou que l’on me demande de revenir à Beyrouth, je resterai confiné en Bretagne.

Voilà déjà plus d’un mois que je suis là, plus d’un mois que j’ai retrouvé ma chambre d’adolescent, sans mes posters de cinéma, sans la vieille tapisserie à motifs colorés. Pas de nostalgie mal placée, juste que je me dis que depuis mon retour j’aurais pu faire en sorte que ce confinement soit « utile » . Alors oui j’ai pensé d’abord à faire mon travail, mais cette semaine m’a laissé le temps de la réflexion sur certains aspects de ma vie et j’ai remis des objectifs quotidiens pour que cette période soit « productive ». Ca n’a rien de fou, mais j’ai ressorti la guitare du grenier, j’ai repris l’arabe plus sérieusement, on y ajoute les exercices physiques et de la lecture, et on irait presque vers un mens sana in corpore sano. Presque étant la dose éthylique accordée chaque semaine par plaisir. Quinze minute de chaque étant le minimum et je me dis qu’au bout de trois semaines,  ça fait déjà plus de cinq heures si je m’y tiens. En tout cas, ce sont de petites choses qui peuvent faire passer le temps, et qui font aussi simplement plaisir.

En parlant de lecture, j’avoue que j’ai dévoré Harry Potter en anglais, et depuis je varie un peu plus, entre Antigone, ou des questionnements sur le sport et de la poésie bretonne, je ne sais pas trop ce que j’attaquerai ensuite, mais je sais que je pourrai aussi bien regarder ce que contient ma liseuse si les livres physiques ne me suffisent pas. C’est juste une question de choix. Entre films, séries, lectures et autres, il ne s’agit plus de savoir ce que l’on peut lire, voir etc… Mais plutôt la question du choix. Que désire-t-on dans cette abondance à disposition ? Il faut faire des choix. C’est ainsi que le film en commun que l’on peut faire en famille ici prend toute sa difficulté. En effet, mon répertoire cinéma est le plus fourni de la famille indéniablement et trouver un film que je n’ai pas vu dans ceux que l’on a, et qui me fasse envie, mais à tous aussi, ça peut donner une discussion fort houleuse. Mais on y arrive toujours et c’est le principal.

En plus cette semaine, j’ai reçu des jeux commandés, et la tradition du dimanche après-midi avec un jeu en commun sera respecté. Jouer ensemble, nous le faisons depuis notre plus tendre enfance, les jeux ont évolué, le plaisir est resté. Alors de Just Dance, 7 wonders, un trivial poursuite ou une belote, peu importe, jouer est presque la finalité.

Demain retour au turbin, à nouveau à mon bureau, à nouveau, au loin mais présent. Reverra-t-on les élèves avant septembre, je ne le sais, mais si c’est le cas, j’aurais plaisir à retrouver mes pitchounes malgré tout qu’importe les conditions.

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Vacances

12 Avril 2020 , Rédigé par Pereg

En prenant une perspective un peu plus large, je suis où je devais être. Bon d’accord ça n’a pas de sens car ce midi déjà ça ne marchera plus et pour trois jours ce sera encore valable. Mais le réaliser est forcément particulier. Anniversaire de ma nièce aujourd’hui, on devait tous fêter Pâques en famille à trèfle, tous ensemble pour une chasse aux œufs. Je serai rentré du Liban, hier soir chez mes parents. Mais voilà, chez mes parents j’y suis depuis le 14 mars, et pour je ne sais encore combien de temps, et ce midi nous ne pourrons pas sortir plus loin que le jardin. Ne pas aller voir mon grand-frère et sa famille alors qu’ils se trouvent à 20 km est assez délicat, frustration des moments qui mériteraient d’être fêtés. Mais c’est ainsi et l’on fera un bon repas du dimanche malgré tout, j’ai même acheté un gros œuf kinder à poser dans le jardin. Plaisir coupable de celui que l’on a jamais eu quand on était jeune.

Confinement qui se prolongera au moins deux semaines encore, et pour la suite, ce sont des perspectives que l’on ignore. Munich est annulé, nous n’irons pas en Bavière. C’est normal et la question ne se pose plus d’ailleurs. Combien de temps encore tout cela va durer ? On ne peut vraiment le savoir et je commence à me demander sérieusement si je repasserai à Beyrouth avant septembre. Tout ça semble si loin, mais pourtant j’ai déjà bien fait six semaines de travail à distance, six semaines où mes élèves chacun chez eux ont travaillé. Et moi de même. Alors voir poindre des vacances méritées, j’avoue que j’apprécie de me poser un peu. Ce qui est paradoxal quand on sait que maintenant que l’on passe nos journées face à l’ordinateur pour au moins sept heures par jour. C’est dense, très dense, mais ça répond à la nécessité de la fameuse continuité pédagogique.

Avec le développement d’internet, des moyens de communication que l’on a actuellement c’est donc plus facile d’être en contact les uns avec les autres, mais pour autant, on se retrouve face à un mur, celui de la chaleur sociale, l’émulation du groupe. Et pour des adultes conscients de de leurs capacités c’est bien plus facile à gérer, que pour mes pitchounes qui pour certains ont besoin d’encouragement continuels et de travail de groupe pour avoir confiance et progresser. Le besoin de voir les autres, leurs amis leurs camarades, c’est un biais d’évolution qui actuellement est forcément impossible et pour celles et ceux qui se reposaient sur cette corde, c’est dur de continuer à travailler. Je m’inquiète forcément pour mes élèves. Je les ai quitté un vendredi soir en devant les voir le lendemain, c’était le 28 février. Nous sommes le 12 avril et je sais bien qu’à minima, je ne les verrai pas avant mai. Les reverrai-je d’ailleurs ?

En ce dimanche de Pâques, je me rappelle aussi la Pologne dont c’est le moment le plus important de l’année. Plus que Noël, c’est la date familiale de l’année. Pas de cérémonie publique à Rome, ni ailleurs en Europe d’ailleurs je crois. Je ne sais si ce fut le cas durant la seconde guerre mondiale, mais cette année 2020 sera marquée au fer rouge. Celui d’un confinement qui aura mis le monde à terre, chacun chez lui pour se protéger d’un virus que l’on n’imaginais pas si virulent.  

Tout cela paraît un brin pessimiste, ce que je ne suis pas aujourd’hui. Vendredi, j’ai marché 20 km autour de la maison, je voulais marquer ce début de congés. Je me suis posé un peu depuis pour récupérer mais je recommencerai d’ici dimanche prochain la même chose en courant. En tout cas, j’essayerai. Et puis j’ai découvert par surprise la quatrième saison de Veronica Mars. Je me suis replongé avec délectation dans cette série qui m’a tant plu et marqué à l’époque. Neptune ville noire, Neptune et ses personnages si marqués. Une intrigue bien ficelée et une nuit un peu courte pour un plaisir non dissimulé. A côté, la lecture bat son plein, Harry Potter a toujours été une histoire passionnante, mais lire ainsi en anglais est un bonheur dont je ne me lasse guère et je sais que je vais en profiter au maximum cette semaine. Imagination mon amie, partir en voyage avec toi dans ce monde de sorciers, ou à Westeros, sans la communauté mais jusqu’au Mordor. La fantasy est une amie précieuse.

Bien sûr il y aurait tant de films et de séries que j’aimerais voir, tant à lire, mais la question n’est pas de la quantité, mais le contenu est bien différent. En effet c’est plus délicat actuellement qu’à un autre moment que de se plonger dans des histoires compliquées, prises de tête. On n’a pas la tête à ça, on n’a pas le cœur à ça d’ailleurs non plus. Ce n’est pas un déni de réalité, mais il est important de se protéger mentalement aussi. Ce n’est pas pour autant que je me prive de classiques ou d’inspirations historiques. Ainsi repassait « Rocco e su frateli » de Visconti qui est un film qui compte beaucoup pour moi, mon petit frère a accepté de le voir même s’il n’a pas trouvé ça formidable. Ce soir il y a Barry Lindon. Premier film qui m’a montré le cinéma pour ce qu’il est. Art.

A force d’être éloigné de Beyrouth aussi, certaines odeurs me manquent, le bruit de la ville aussi, le goût des épices. Bien sûr, je ne suis pas à plaindre ici, dans des conditions qui sont loin d’être désagréables, mais mon chez-moi est au loin. La litanie de la langue arabe, les klaxons des voitures, la caresse du soleil sur ma terrasse le matin. Alors que j’ai du temps, je me ferai repartir en cuisine, retrouver la cannelle et le zaatar qui sont de mon quotidien de Zarif.  

Al masih kam.

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Baccalauréat

5 Avril 2020 , Rédigé par Pereg

« Le baccalauréat se passera en contrôle continu ». Cette phrase hautement symbolique lancée par le ministre de l’éducation vendredi sonne le glas d’une année scolaire des plus particulières. Une décision attendue, une décision évidente, mais le choc de la réalisation n’en reste pas moins impressionnant.  Pour la première fois de son histoire, ce n’est pas un examen final qui décidera du sort des futurs étudiants, mais leurs notes de l’année. Ce qui change bien des choses ! Je me mets à la place de celles et ceux qui sont dans des lycée où les exigences sont importantes, où le suivi des notes ne reflète pas forcément la réalité de l’examen, ceux pour qui le dossier aura peut-être un impact négatif, ce ne sera pas facile. 14 dans certains lycées, ça ne vaut pas 12 ailleurs. Bien sûr, cette réalité est connue mais il n’empêche… Si celui que j’ai passé en 2006 l’avait été sous cette forme, les choses auraient été beaucoup plus compliquées pour moi car à l’époque je n’avais pas la moyenne en terminale. Alors qu’à l’examen j’ai eu ma mention. Même si ce n’était que pour aller à la fac, le symbole était important.

La directive est tombée et tous vont devoir s’adapter. Néanmoins cette adaptation révèle aussi un aspect important de cette crise scolaire, les disparités de résultats et de traitement. Je suis enseignant dans des conditions qui me permettent de travailler avec application et de bonne manière. Pas d’enfants à charge, un bureau pour être au calme et une bonne connexion à internet. On me dirait ce que c’est presque un luxe, et ça me permet de faire les choses bien pour mes élèves. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Comment faire si l’on n’a qu’un seul ordinateur dans la famille ? Trois enfants qui courent partout derrière ? Une situation bien différente qui ne permet pas une disponibilité identique. Ce n’est que l’aspect enseignant.

Passons de l’autre côté de l’écran, les parents. Ceux qui sont en télétravail, ceux qui doivent aller au travail, comment peuvent-il s’occuper de suivre les devoirs de leurs enfants ? Un ordinateur dans la famille ou plusieurs, des enfants plus grands à la maison donc prioritaires dans les suivis, et les petits qui doivent se débrouiller avec ce qu’ils ont, ce qu’ils savent. Je ne parle même pas de ceux qui n’ont pas le luxe de se permettre d’avoir un ordinateur à la maison pour le suivi, de ceux qui vivent déjà dans les logements trop petits pour un nombre trop grand. Comment ne pas penser que la fameuse continuité pédagogique, qui au départ est une idée pertinente, ne fait que creuser les écarts entre ceux qui pouvaient déjà avant et qui aujourd’hui ne peuvent que subir de plein fouet cette réalité de crise.

Il en ressort un sentiment de culpabilité, criant, de celui qui ne nous lâche pas en disant que l’on fait au mieux pour nos élèves en difficulté, mais quand on n’arrive même pas à les joindre ? Comment peut-on dire que l’on va évaluer à distance nos classes alors que l’on est à peine rentrer en contact avec plusieurs. Oui l’avenir de nos élèves questionne, mais ce n’est pas tant ce que l’on met en place actuellement que la suite à donner en septembre prochain pour niveler ces inégalités qui sera important, car cette année blanche marquera à sa manière l’enseignement, par le rôle des enseignants, celui des parents et la manière  de distribuer les contenus aux élèves. Je finirai sur ce chapitre par le fait que les notes en confinement ne seront pas prises en compte. Même si cette décision semble légitime, il est problématique de l’annoncer aussi tôt car ainsi le travail des dernières semaines est réduit à néant et si l’école ne reprend pas d’ici juillet, la confirmation de vacances avancées pour les niveaux d’examen se fera d’autant plus pressant. Son propos m’inquiète pour les grandes classes même s’il me sert à dessein pour justifier ma manière de travailler à distance.

Cet évènement particulier du bac m’a ramené au mien, celui que j’ai passé voilà déjà quatorze ans. Mais ce n’est pas tant l’examen que je me rappelle assez bien pour ainsi dire que les personnes de ces années-là. En revoyant les photos du collège ou du lycée, les visages de certains me sont bien revenus en mémoire. Non pas comme un sentiment de nostalgie marqué d’une pierre blanche, mais la réminiscence d’un passé qui surgit. Je revis actuellement dans ma chambre d’adolescent, dans une situation comme il y a 10 ans, à quatre à la maison. Avec un travail du quotidien, et des modalités différentes mais il en reste que ce retour en arrière est particulier. Les souvenirs ont afflué. Ceux des chemins par lesquels je passe pour courir dans la zone autorisée, ceux des amis de l’époque qui vivaient par ici, des moments passés ça et là, à grandir, à se construire dans cette ville que je ne pensais plus habiter.

Après trois semaines ici où tout se passe plutôt bien, le temps suit son cours et ma tête est repartie à Beyrouth. Mais tant que le confinement sera, nul besoin d’y remettre les pieds. Mai, juin ou septembre, je ne sais pas quand j’y retournerai, mais quoiqu’il se passe, j’aurais besoin de m’y retrouver. Oui, comme si ce confinement n’était qu’une ellipse qui ne s’achèvera que lorsque j’aurais retrouvé les rues de Zarif et mon chez-moi. « Ana baddé ktir rou7 alla Beite ». En attendant, je dors encore en Bretagne ce soir.

Par chance et aussi par vouloir....

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