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II. En quarantaine

15 Août 2021 , Rédigé par Pereg

Cela fait plus d’une semaine que je suis à l’hôtel, chambre 322. Je n’ai le droit de mettre le nez dehors que pour le plaisir de récupérer mes repas, matin, midi et soir. J’ai oublié aussi le test pcr que nous avons fait à notre arrivée, il y en aura un également pour notre départ. Avant d’être coincé de cette manière, je ne savais pas réellement ce que pouvait être une quarantaine stricte. A Beyrouth, l’appartement déjà avec ses différents espaces nous permettait de disposer d’un espace moins restreint. En France lors du premier confinement, le kilomètre autour de la maison permettait malgré tout de sentir les embruns et de se balader dans des chemins. Mais ici, nulle possibilité n’est donnée à autre chose que cette chambre.

Cette chambre est devenue mon monde, avec une relative routine qui s’est instaurée. La livraison des repas à heure régulière facilite aussi cette mise en place. 7h30 petit-déjeuner, ou plutôt repas car quand on a un pot-au-feu à cette heure-là ce n’est pas la norme à laquelle nous avons pu être habitué. 12h00, déjeuner, et 18h30 le soir le dîner. J’ai le plaisir d’avoir dans la chambre face à la mienne la nouvelle proviseure, mais nous n’avons pas le droit de parler. D’ailleurs il est rare que l’on se croise quand on vient chercher nos repas à la porte. C’est arrivé finalement qu’une seule fois depuis le début. Pour prévenir que les repas sont déposés à la porte, sur la table à disposition, ils frappent à la porte. Au début c’était une alarme, étant déconnectable, je n’ai pas hésité à la couper pour préserver mon sommeil car je suis rarement sur le pont de si bon matin malgré tout. La nourriture proposée est une combinaison de plats locaux comme le Pho, qui est une soupe, et de plats plutôt occidentaux. Après mes excès estivaux, cette transition gastronomique a ses vertus.

Dans ce quotidien, il y a plusieurs objectifs que je me suis fixé, pour faire en sorte de valoriser cette quarantaine. Un peu de travail pour l’école, un peu de vietnamien, des exercices physiques, et de la lecture au quotidien. Vous me diriez oui c’est la base, tu peux le faire, et j’abonde. Je fais tous les jours certaines parties de ce programme, avec plus ou moins d’ardeur, mais rares sont les journées où ce programme a été complété entièrement. Catastrophe ? Non, assurément que non, car la première chose à préserver dans cet enfermement volontaire est le mental. Je fais donc les choses pas à pas. Les journées sont à la fois longues et très courtes. Le paradoxe temporel suit forcément l’humeur et l’implication dans l’activité dans laquelle on s’est plongée. De cette première semaine complète, je peux retenir les choses suivantes. J’ai appris mes premiers mots dans la langue locale, j’y vois un peu plus clair sur le travail que je vais commencer à faire en septembre. J’ai fini Barry Lyndon et démarré Le Vicomte de Bragelonne, j’ai un peu de retard sur Jason mais nul doute que je le finirai. Enfin j’ai un peu mal aux abdos donc je peux me dire que c’est un minimum. Je n’y vois non pas un accomplissement mais c’est un minimum que je ne saurai m’enlever.

D’ici à dimanche prochain, je devrai sortir pour de vrai de cette chambre et aller voir le monde extérieur. Enfin presque. Le Covid-19 fait actuellement des ravages au Vietnam comme il n’avait jusqu’alors jamais fait. Plus de 5000 cas quotidiens. La ville elle-même est cloisonnée et pour sortir de chez soi, il faut un laisser-passer, faire ses courses et s’en revenir. Ces mesures sont en vigueur jusqu’au 23 août à minima. La découverte de mon quartier, de la ville et de ses merveilles, attendra encore un peu. Le pays ne peut se montrer sous son meilleur jour, mais viendra le moment où nous serons libres de circuler. A ce moment je serai prêt à arpenter ce nouvel univers qui est le mien. J’ai fait le choix de venir ici, conscient que les mesures vis-à-vis de la pandémie pouvaient être plus restrictives. Elles le sont. Chaque pays, chaque gouvernement, agit selon ce qu’il pense être au mieux et les décisions européennes ne sont pas celles qu’ont prises une majorité de pays dans le monde, c’est ainsi.

La quarantaine agit aussi comme une phase d’introspection. Ce n’est pas un gros mot et il serait absurde de dire que ce moment ne me fait pas réfléchir, à mes choix, mes envies, mes perspectives. Pas de grande remise en question, pas de prise de tête sur telle ou telle chose, juste l’acceptation de ces pensées qui sont les miennes actuellement. Mon corps est au Vietnam, mon esprit lui, est très proche du Liban. Entre les pénuries qui s’accumulent et l’accident mortel de la nuit passée, ça fait une nouvelle fois beaucoup. Trop. Je m’inquiète forcément pour mes amis qui y vivent, ceux qui vont y revenir aussi à la fin de l’été. Sans parler de l’enseignement dans une telle situation. J’ai quitté un pays souffrant, j’ai l’impression qu’au cancer s’est ajouté le choléra. Devant ce tableau noir, je continue malgré tout à espérer. On ne quitte jamais vraiment un endroit, et Beyrouth comme Varsovie ou Bordeaux, ce sera toujours un peu chez moi.

Je suis à Hanoï, pour une nouvelle expérience, sur un nouveau continent. Mais pour l’instant, je suis simplement, en quarantaine.

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